... Les chants montaient, se répondaient, se perdaient dans la nuit. Sélim se mit en route, observant prudemment les visages alentour. Des visages de partout, des trognes de marchands, de tailleurs, de chiffonniers, des gueules tatouées de naaj qui jetèrent un frisson dans ses épaules massives et, au milieu de ça, les étranges yeux noirs des « Enfants du Fleuve » qui ne vivent que la nuit, disparaissent le jour et ne viennent ici qu’aux solstices d’autrefois… Le mystérieux marché posé sur les eaux noires paraissait gigantesque. L’albinos se pressait, continuant d’observer les visages qui passaient sur leur vaste plateau. De nouveaux arrivants aux habits colorés abordaient de tous côtés et paraissaient venir des quatre coins du monde. Une felouque lointaine accosta en silence.
— Ne traînons pas par là, murmura l’adolescent qui attrapa Noé par le coude et l'entraîna dans le cœur du marché flottant.
... — Tu achètes des choses avec des histoires ?…
— Les histoires et les contes sont beaucoup plus précieux que les graines pour eux, gronda le géant pâle dans un haussement d’épaule.
— Pourquoi ?
— Parce qu'ils veulent comprendre pourquoi ils ont si peur.
— Peur de quoi ?
— Du rivage.
Sélim mâcha longtemps un morceau de poisson séché.
— Il faut croire qu'il s'est passé des choses abominables sur la terre ferme, il y a bien longtemps. Assez pour qu'ils n'aient plus jamais envie d'y retourner.
