Ville aux mille noms
« Le Continent sans fin », « la Ville aux mille noms », « l'En-Ville »...
Un lieu réinventé après les catastrophes. Un territoire où l’eau, les graines sont les choses les plus précieuses qui soient, où les nouvelles s’accrochent sur les branches des arbres-messagers, au bord des anciens puits qui ont permis au monde de germer à nouveau.
Puits
... — Tu entends ?
L’enfant s’était figé, l’oreille tendue au loin. Un froissement cristallin grandissait tout au fond du murmure de la foule. Les gosses accélérèrent vers l’origine du son qui devenait plus fort. Le chant extraordinaire des « Arbres-messagers », protecteurs des vieux puits, les sources découvertes par le jeune Fils de l’Eau au commencement du monde. Noé les débusquait de plus en plus souvent. Son oreille habituée à scruter le foisonnement de vie de la vieille forêt explorait avec peine le tumulte des rues, s’y noyait, et cherchait ces repères comme on traque la lumière au milieu de la nuit.
Noeuds
... Une masse de voyageurs, d’habitants, de marchands, bruissait près des margelles où se désaltéraient des chevaux, des ânes, des dromadaires. Noé glissait dans l’ombre de l’arbre séculaire et scrutait les bandelettes emmêlées par la brise. Sur ces tresses, s’exprimait une langue universelle faite de boucles et de nœuds. Comme chaque fois, la main blême de Sélim explorait rapidement ces enchevêtrements.
— « Vitek était ici à la nouvelle lune », « N'oublie pas mes épices, je reviens à la Lune des blés ». « Pour Olaf de Tanger : même après ma mort je te retrouverai… » « Des aigles à Kinshasa et des aigles à Zyn’din, des aigles à Sham’ta, O’gon, So’ba, Krakow… » « Ils tournent et ils hésitent… »
Routes
... — Laisse faire la route, Noé. L’En-Ville et ses chemins vont bientôt nous répondre.
— Quand ?
— Oh, peu importe quand. L’En-Ville répond toujours.
Noé laissait entrer toutes ces croyances bizarres au fond de son esprit et les pesait froidement, comme un nouvel outil dont il doutait encore.
— C’est sérieux. Ça fonctionne… insistait le colosse. Ton message remontera forcément là où les routes se croisent, vers Jaipur, Kitaï… ou encore le Souk… Comme les pépins qu’on sème. Il faut laisser pousser, laisser la pluie tomber. Et après tu moissonnes.
— On devrait essayer au Souk.
— Hé, c’est sacrément loin le Souk.
— Toutes les routes se croisent là-bas... Mon grand-père disait ça.