Lumière
... Dans mon dos, un grondement familier a fait vibrer l’air chaud. Je me retourne doucement, me redresse sur mes jambes et scrute le paysage qui demeurait caché, les collines de Jodhpur et ses havelis bleues dressées sous le soleil. Le grondement roule plus fort et vient se propager au creux de mes vertèbres. La lumière émeraude du Quartier Interdit gonfle derrière les pentes, lèche un instant le ciel… Je reste hypnotisé par l’éclat défendu qui remue très lentement à quelques heures de marche. Je brave l’interdiction que chaque enfant entend quand il grandit ici : ne jamais regarder cette fichue lumière — même si le hasard nous conduit auprès d’elle — ne jamais la laisser entrer dans sa cervelle. Mais nous le faisons tous dans le plus grand secret. Il ne passe pas une lune sans que nous la croisions au gré de nos errances vers Jodhpur et le Souk.
Je frissonne un bon coup, refoule l’émerveillement, la peur et l’attirance qu’elle provoque à chaque fois, lui tourne froidement le dos avant de me rassoir pour regarder le maître qui s’active et marmonne sur les passerelles d’en face.