Un monde secret
... Émergeant de la brume, la perspective démesurée du fleuve se déployait, bordée interminablement par la ville. Des ponts tellement immenses qu’ils portaient des maisons et dont les pieds accueillaient de grands moulins à eau passèrent au dessus d’eux. L’homme jeta un coup d’œil à son jeune passager qui semblait sidéré.
— C’est immense…
— Tu n'as encore rien vu.
... Les chants montaient, se répondaient, se perdaient dans la nuit. Sélim se mit en route, observant prudemment les visages alentour. Des visages de partout, des trognes de marchands, de tailleurs, de chiffonniers, des gueules tatouées de naaj qui jetèrent un frisson dans ses épaules massives et, au milieu de ça, les étranges yeux noirs des « Enfants du Fleuve » qui ne vivent que la nuit, disparaissent le jour et ne s'arrêtent ici qu’aux solstices d’autrefois… Le mystérieux marché posé sur les eaux noires paraissait gigantesque. L’albinos se pressait, continuant d’observer les visages qui passaient sur leur vaste plateau. De nouveaux arrivants aux habits colorés abordaient de tous côtés et paraissaient venir des quatre coins du monde. Une felouque lointaine accosta en silence.
— Ne traînons pas par là, murmura l’adolescent qui attrapa Noé par le coude et l'entraîna dans le cœur du marché flottant.
— Que sais-tu sur les naaj ? me demande le garçon qui me jette soudainement au fond de mon passé.
— Les naaj ?… Pourquoi ?
— Que sais-tu ?
— Ils jouent avec la mort et vénèrent le hasard. Ils cherchent la liberté totale. Ils traquent les semences rares… et surtout une graine rouge… une graine imaginaire…
— C’est la graine de quoi ?
— Eux-même ne le savant pas…