— Pourquoi fait-on si peu de haltes ?!
Wei me sourit en acquiesçant.
— Vieilles traditions… Vieilles habitudes. Bientôt nous voyagerons moins vite. Et nous ferons de vraies escales.
Une fois de plus, je n'aime pas ces vieilles coutumes.
— Pourquoi est-ce que l’on va si vite ?!
— Autrefois, le monde était noir… Les toutes premières caravanes qui partaient explorer les terres ne revenaient presque jamais. C’est pourquoi elles partaient si vite. Pour ne pas être rattrapées par la mort qui suivait leurs traces.
Sur sa monture, Wei se rapproche de mon chariot et me jette un regard complice.
— Ces temps sont loin, ne t’inquiète pas. Sans nous, rien ne pourrait survivre. Les caravanes ont fait ce monde, nous sommes le sang dans ses artères.
... Des milliers de visages se pressent autour de nous. Certains saluent la femme qui guide notre cortège et chante, infatigable, depuis notre départ.
Elle s’appelle Yedanah. La peau sombre, tatouée de symboles ancestraux, les yeux bleus, lumineux, comme capables d’éclairer notre route. La chamelière égrène d’innombrables nouvelles. Sa voix haute, rassurante, questionne ou bien renseigne les marchands qui nous croisent, bénit chaque rue nouvelle. Notre convoi rejoint des voies un peu plus larges où des marchands de bois nous bénissent à leur tour.
... Plusieurs lunes s’étaient écoulées depuis que nous avions laissé Jaipur. Si ma mémoire ne se trompe pas, nous avons traversé Praha, Mysore, Shan, Mir, Alger, Nicobar, Our, Ouaphan… Des noms hérités d’un passé dont nous ne connaissons plus rien. Ni le sens ni l’origine. À Mir, j'ai vu des forêts d'arbres bleus, des cascades et des gorges obscures. À Our, des palais de terre crue, dressés comme des termitières. J'ai vu l'eau rouge de Ouaphan, ses grands canaux et ses vergers, j’ai senti des parfums puissants sur les pentes boisées d’Alger. La terre humide et la résine des pins noirs. Les manguiers-feu de Nicobar…
